La plaine de la Lys constitue, par sa spécificité, un grand paysage. Elle s'étend, comme une marée, jusqu'à ce que le relief l'arrête. Son statut de plaine, au coeur de terrains dont les altitudes sont plus élevées - l'Houtland, l'Artois, les Weppes, le Ferrain -, évoque déjà sa particularité géographique. Elément linéaire par excellence, la vallée-plaine de la Lys présente une forte homogénéité tout au long de son parcours dans le Nord. Les minuscules variations dans le vocabulaire agricole ou urbain ou la présence ponctuelle d'éléments forts comme la forêt de Nieppe ne permettent pas d'identifier des entités paysagères distinctes. En revanche, longer la Lys sur de grandes distances permet de découvrir des «séquences paysagères» où alternent paysages d'eau industriels, paysages d'eau agricoles, villes et campagnes.
Il y a longtemps, la forêt marécageuse occupait toute la plaine. Les terrains étant très plats et plus bas que ceux qui les ceinturent, les sols ,étant imperméables, l'eau y stagnait au gré des crues des rivières et autres becques.
De ces temps historiques, le paysage a gardé les marques dans ces terres, aujourd'hui d'une extrême domesticité, qui résultent de l'opiniâtreté humaine au drainage et au défrichement.
Des réseaux de fossés drainants furent creusés. Des voies s'implantèrent en formant un carroyage : les rues majeures s'installèrent en parallèle à la rivière» la Lys «, tandis que des chemins plus courts lui étaient perpendiculaires. C'est dans cette vaste plaine, qu'oscillait la frontière entre les parlers flamands et picards. Les traditions textiles et industrielles du XIX ème s'allièrent pour stimuler la croissance des villes et de leur corollaire d'usines qui s'égrènent en chapelet le long de la rivière de l'Artois à Courtrai. La récession économique toucha durement ces activités traditionnelles et pollueuses.
De part et d'autre de l'épine dorsale que constitue la Lys, axe de transit attesté depuis au moins le X ème siècle, le territoire prend l'allure d'une nappe constellée de fermes. Elles s'installent toutes à un rythme égal, au delà du fossé profond et de la banquette fleurie. On peut réellement parler de modèle simple qui se répète à l'infini.
De toute évidence, ce n'est pas la densité qui caractérise ce terroir agricole, mais plutôt la ligne et le point. Le bâti s'organise par rapport à la ligne d'une route, le végétal se décline par touches de quelques unités. Tout cela concourt à former un paysage d'une rare qualité : celle d'une grande perméabilité visuelle ponctuée par une multitude d'éléments qui parsèment l'espace» fermes, arbres ... C'est à la faveur d'un soleil rasant « qu'il soit de l'aube estivale ou du couchant hivernal « que le regard apprécie à sa plus juste valeur les infinis vaporeux filtrés par ces milliers d'anicroches.
Brusquement, au détour de la route qui bifurque à 90° apparemment sans raison, le paysage semble s'être mis en rotation : les fermes, les grands saules blancs paraissent alors glisser comme sur une patinoire.
De prime abord, l'absence de points de repères et l'homogénéité de l'occupation humaine placent le nouvel arrivant dans des situations difficiles. Puis l'habitude et la pratique des lieux aidées de la grande perméabilité visuelle permettent de s'orienter par rapport au talus de l'Houtland et aux monts de la Flandre au nord, au talus des Weppes et à son pied arboré au sud, enfin aux grandes collines de l'Artois à l'ouest. Autre point de repère : la forêt de Nieppe, qui ressemble à un gros bois malgré ses 3000 hectares. Elle paraît «flotter» à la dérive, sans trouver l'épaulement qui l'ancrerait définitivement à son territoire, et par là même, à son histoire Enfin, il y a la surprise, celle de franchir
une ligne d'eau, beaucoup plus généreuse que les autres et que rien n'avait laissé présager: la Lys, dans son trop fréquent no man's land qui lui tient lieu de rives. Mise en valeur, cette rivière pourrait redevenir l'un des points de repères et de convergences de ces paysages .
Extrait de la Trame Verte, CAUE du Nord, 1993