LA PARTICIPATION DES HABITANTS DANS LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Bernard HAUMONT est docteur en sciences humaines, enseignant-chercheur des écoles nationales d'architecture et ancien administrateur du CAUE de l'Ain. C'est à ce titre qu'en octobre 2010, il avait tenu une conférence lors du salon régional de l'habitat à Bourg en Bresse. Nous avons convenu de publier le résumé de celle-ci, en rappelant sa date, parce qu'elle atteste du caractère toujours d'actualité de ses propos, dans un contexte national faisant suite à plusieurs consultations publiques et à divers référendums régionaux (aéroport de Nantes, fusion des départements alsaciens…). Bernard Haumont est notamment l'un des auteurs, avec Alain Morel, de La Société des voisins (Paris, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 2005. Réédition en 2015).
«Les aspirations de nos concitoyens à être entendus lors de projets d'aménagement ou à l'occasion de décisions de construction ne sont pas totalement nouvelles, mais il faut bien reconnaître que souvent elles ne trouvent pas l'écoute attendue.
Tout d'abord, il convient de mentionner l'élévation générale des niveaux de savoir de la population ainsi que l'importance des flux permanents d'informations qui viennent quotidiennement actualiser ou renouveler la connaissance du monde en marche : de la presse aux radios et télés, sans oublier évidemment Internet qui comme la langue d'Esope offre le pire et le meilleur, mais surtout qui permet, avec ses blogs et ses interactivités diverses, des lieux de discussion et de débat. Quoi qu'on en dise, les générations actuelles sont plus informées que celles qui les ont précédées, et ainsi elles sont fréquemment plus à même de discuter de nombreuses questions, surtout de celles qui les concernent directement et quotidiennement.
Les domaines d'intérêt comme les territoires, au sujet desquels des aspirations à participer s'étendent : les infrastructures de transport évidemment, mais aussi certains équipements mal considérés (prison, traitement d'ordures, éoliennes …) dont les projets sont à même de provoquer des mobilisations réactives. Plus largement, le développement durable et ses diverses échelles (eau, pollution, systèmes écologiques…), parce qu'il s'appuie sur des comportements qui se veulent éco-responsables, implique une démocratie active et partagée.
La crise des experts et des Etats
Nous pouvons également identifier une crise de l'expertise et ainsi de la mise en doute plus ou moins généralisée sinon systématique des « dires d'expert ». Là aussi les exemples abondent pour soutenir ce scepticisme, depuis l'arrêt des nuages de Tchernobyl aux frontières du pays jusqu'aux études d'impact de quelques projets d'aménagement, où les effets attendus se sont avérés fort différents des effets réels.
D'autres traits de notre société pourraient être avancés, qui soutiennent ces aspirations vers plus de délibération et plus de participation. Le retrait continu de l'Etat, avec et après les lois de décentralisation, a renforcé la place et le rôle des collectivités locales et territoriales ; c'est à dire là où les représentations politiques sont les plus proches voire les plus familières, et où des approches participatives semblent moins difficiles à développer.
Nous pourrions enfin évoquer les effets de la mondialisation qui conduisent une partie de la société civile à s'investir ou à réinvestir sur des projets pour lesquels elle pense pouvoir peser : penser globalement pour agir localement, le fameux glocal que Paul Virilio a aidé à populariser. Depuis, le monde a changé, la pression de la mondialisation principalement néolibérale ainsi que les processus d'unification continentale (Union européenne, ARENA, Mercosur) ont contribué à remettre en cause les rôles des Etats-nations et à reconfigurer les politiques publiques et les formes de gestion territoriale, urbaine et rurale.
La démocratie participative affirme que la prise de décision publique ne peut être laissée aux seuls élus et experts : les jurys citoyens ou les budgets participatifs ou d'autres formes encore permettent aux citoyens et aux habitants ordinaires, de ne pas être cantonnés dans des seuls rôles d'électeurs.
En tant qu'idéal, la démocratie délibérative suppose que tout est fait pour assurer l'égalité d'accès à l'information et aux moyens et techniques de communication, et ainsi qu'à la parole publique. Ce n'est pas un scoop que de dire que nous sommes loin du compte. De plus, comme idéal, elle encourage la critique des démocraties réelles, et au premier chef de la démocratie représentative qui, il est vrai, rend difficile la représentation de certains groupes sociaux, que ces derniers soient non seulement minoritaires, mais de surcroît stigmatisés.
Un renouvellement durable
Pour l'avenir, il faudrait certainement développer une dimension complémentaire de cet appel, de cette nécessité, pour plus de participation directe. Le vivre ensemble et le lien social s'éprouvent dans les rapports aux autres et se construisent dans des relations de coopération et d'échange, même si ceux-ci doivent parfois être conflictuels. Mais en tout
état de cause, le débat, la délibération, la participation à l'élaboration et à la construction de projets communs sont clairement plus efficaces que la seule dénonciation voire stigmatisation pour l'avancement de la démocratie, son équité et son éthique. Et la globalisation comme « la complexification » de nos sociétés appellent à nouveau frais un renouvellement du jeu représentatif. Ce renouvellement peut emprunter des voies diverses, puisque nous savons tous que le combat démocratique est un combat permanent qui peut et doit sans cesse s'adapter aux circonstances et aux terrains. Et pour ce faire, il est clair que le développement durable offre une fenêtre de tir particulièrement stratégique.»
Bernard HAUMONT, docteur en sciences humaines
Enseignant-chercheur des Ecoles d'architecture
Ancien administrateur du CAUE de l'Ain