Dans le cadre de sa politique de développement culturel et de la rénovation du quartier de Moulins, la Ville de Lille a
engagé en 2009 la construction d’un nouvel équipement culturel susceptible de permettre de développer la Maison Folie
de Moulins existante, qui manquait d’espaces spécifiques pour mener à bien l’ensemble de ses projets, et de créer un
« Centre Eurorégional des Cultures Urbaines » (le Flow – Maison du Hip-Hop), structure rendue nécessaire par
l’importance des activités liées à cette pratique, qui ne trouvaient jusqu’alors pas de lieu pour se déployer. L’importance
de ce projet justifiait de l’insérer dans un site proche du centre-ville. La volonté de réunir ces deux équipements en un
même lieu présentait de nombreux avantages, pour l’une et l’autre structure, dont la possibilité d’assurer une synergie de
fait, leurs objectifs étant communs. La Maison Folie, qui avait déjà conquis son propre public en cinq ans d’existence, se
voyait contrainte de refuser ou de retarder de nombreux projets (danse, théâtre, arts plastiques et visuels) par manque
d’espace.
Les maisons Folie sont un ensemble de lieux culturels basés sur la métropole lilloise, dans le Nord, le Pas-de-Calais et en
Belgique. Elles sont l'héritage de Lille 2004, année événementielle où Lille (avec son aire urbaine, française comme belge)
a été capitale européenne de la culture. Elles servent de lieux d'expositions, de salles de concerts, organisent des ateliers
pour enfants et adultes etc. Elles forment un maillage important dans la vie culturelle du Nord.
La Maison Folie de Moulins, ancienne brasserie, comprenait un certain nombre de corps de bâtiments s’articulant autour
de deux cours. Une première réhabilitation, partielle, avait eu lieu avant notre intervention. Nous avons été chargés de
conduire les travaux complémentaires, de terminer les salles d’exposition et d’activités diverses, parallèlement à la
construction d’un bâtiment conçu ex nihilo au sud, en tête de proue de l’îlot. Nous avons d’autre part, en faisant le choix
d’implanter ce nouvel édifice en retrait par rapport à la rue Fontenoy, créé un parvis destiné à être approprié par les
habitants, et sur lequel peuvent se tenir des concerts et autres manifestations artistiques.
Le Centre Eurorégional des Cultures Urbaines a donc pour double ambition d’encadrer et de promouvoir des pratiques
artistiques issues de la rue. Il s’agit ici de créer un lieu spécifique, une « maison commune », qui rassemble plusieurs
disciplines, tout en évoquant l’univers urbain dans lequel ces pratiques ont trouvé naissance. Les lieux du hip-hop sont
souvent des espaces de récupération et il n’existe pas, au contraire des scènes de musiques actuelles, une typologie de
projet représentative d’un tel programme.
Le principe que nous avons adopté a consisté à réfléchir d’une manière globale aux termes du programme, en lien avec
l’existant et le devenir du lieu. Nous avons ainsi travaillé par bandes, les immeubles situés à l’ouest, côté rue d’Arras, étant
démolis, l’espace ainsi dégagé accueillant les fonctions servantes de l’équipement. Du nord-est en progressant vers le sud,
côté rue Dupetit-Thouars, nous avons procédé à la réhabilitation demandée de la Maison Folie de Moulins, en
conservant en grande partie les façades de brique, derrière lesquelles on devine aujourd’hui les passerelles et les escaliers,
pour aboutir ensuite à une paroi d’acier Corten perforé assurant, par sa transparence, une vue sur la cour, mais effectuant
aussi la jonction avec le bâtiment neuf. Marquée par une ambiance « à la new-yorkaise », la cour de la maison du Hip-
Hop est à la fois un organe de liaison horizontal et vertical et le cadre d’activités extérieures. Elle offre ainsi la possibilité
d’accueillir le public sur les multiples passerelles et platelages qui l’habitent. Les poutres rythmant la structure ont une
section importante : elles sont en effet destinées à recevoir des équipements scénographiques, et à se faire les supports des
éléments entrant en jeu dans les expositions. C’est toute l’histoire du quartier que nous avons cherché à perpétrer, via
cette esthétique industrielle qui d’autre part convient naturellement au hip-hop et aux cultures urbaines.
Des entre-deux et divers accès existants ont été préservés, permettant d’accéder à l’ensemble (tout ou partie selon les
besoins) par des cheminements piétons, depuis l’est ou l’ouest, l’entrée principale s’effectuant au sud. Selon que l’un ou
l’autre espace est ouvert au public, en effet, il est possible de fermer si besoin les accès aux autres fonctions du bâtiment.
Les utilisateurs et/ou spectateurs pénètrent alors dans le bâtiment via des entrées spécifiques. Lorsque l’ensemble est en
mode « libre appropriation », on accède à l’équipement selon son choix ou sa provenance.
Le mode de fonctionnement du nouveau bâtiment, qui se développe sur quatre niveaux dont un en sous-sol, est
extrêmement simple. À chaque niveau correspond une fonction précise du programme. Au rez-de-chaussée, les fonctions
d’accueil et de convivialité sont en contact direct avec la place et le parvis. Au sous-sol, se trouvent les studios musicaux ;
au premier étage, l’administration ; au deuxième, la danse ; et au troisième, l’atelier de graff, avec son extension vers
l’extérieur. Chaque niveau peut ainsi fonctionner en parfaite autonomie suivant les besoins des utilisateurs.
La salle de diffusion commune est délibérément disposée en retrait des façades, au coeur de la parcelle. Visible à travers
l’accueil de la maison du Hip-Hop ou le rez-de-chaussée du bâtiment Bulle de la Maison Folie de Moulins, elle semble
constituer une seconde cour intérieure.
La structure de l’édifice que nous avons conçu est constituée de béton armé, et basée sur un système de poteaux-poutres.
Seule la couverture de la salle de diffusion est supportée par une charpente métallique de type poutres-treillis. Certains
ouvrages spécifiques sont réalisés en maçonneries porteuses. L’enveloppe de la salle de diffusion est composée de voiles
béton de 30 cm d’épaisseur, sur lesquels viennent se fixer des doublages intérieurs désolidarisés, constitués de plateaux
aciers horizontaux et de plaques de plâtre fixées sur une structure indépendante. Les façades de la maison du Hip-Hop
sont réalisées à l’aide de profils aluminium type VEC, et sont dotées d’ouvrants à ossature cachée en triple vitrage
thermo-acoustique avec stores (produit développé par Saint-Gobain).
La salle de diffusion, d’une forme presque cubique, est entourée de deux niveaux de passerelles, le grill s’étendant sur
toute la surface : le travail des techniciens en est grandement facilité (nous avons même mis en place un escalier
permettant d’aller du niveau 1 au niveau 2, il est relevé lors des spectacles). La jauge varie de 225 places assises en
configuration gradins déployés à 600 à 700 places debout sans gradins. Cet espace et ces proportions encouragent
délibérément les échanges entre les artistes et musiciens sur la scène et leur public : les spectacles peuvent être frontaux,
bi-frontaux, ou encore jouer sur un effet de « ring » grâce aux balcons périphériques. La correction acoustique est assurée
par une multitude de coussins de dimensions variées, garantissant l’absorption, la réverbération et la diffraction du son.
Préservant pour une grande partie l’identité patrimoniale de l’îlot avec ses façades de brique typiques des villes du Nord,
le nouvel équipement emprunte également à l’esthétique industrielle, très présente à Lille et dans toute la région, son
vocabulaire, en résonance aussi avec des pratiques urbaines auxquelles il offre un lieu inédit, sans équivalent en France.
Mêlant le respect pour hier et l’adoption de technologies de pointe, le Centre eurorégional des cultures urbaines est prêt à
accueillir de nouveaux usages, sa flexibilité d’usage étant optimale. Ses transparences avec l’espace public encouragent
l’appropriation par les artistes et le public d’espaces que nous avons souhaités extrêmement conviviaux.
Une façade-média innovante
Il est à noter que le bâtiment est équipé de la première façade vitrée digitale qui ait encore jamais vu le jour à cette
échelle. Des LEDS sont prises dans les lames de verre et, via des circuits d’alimentation invisibles, sont reliées à un
ordinateur piloté par les utilisateurs (ce qui permettra d’inviter les artistes spécialistes de ce type de performance à animer
cette façade à volonté). Les LEDS incorporées au vitrage évoquent d’autre part d’une manière très parlante les activités de
la maison du Hip-Hop, dont la peau même constitue donc l’enseigne. Ne pas figer le décor parlant des façades – ellesmêmes
délibérément transparentes, afin de signifier la porosité maintenue entre la rue et les arts qui en sont issus, nous
semble en ce sens susceptible d’ajouter une valeur sémantique non négligeable au CECU. Les parois changeront
régulièrement d’aspect, en résonance avec la mobilité propre aux activités qu’elles abritent. Les graffeurs et les danseurs
seront ainsi accueillis dans un lieu non seulement en prise directe avec l’espace qui l’entoure, mais signifiant sa fonction
par son mode constructif même, et son message artistique inscrit dans oeuvre et en perpétuelle évolution. Le concept de
« façade-média », qui commence à rencontrer un grand succès de par le monde, est ici développé via un process inédit
également pour renforcer les interactions entre le bâtiment et l’espace urbain, que le dispositif enrichit en externalisant
certaines informations, transformées en visions mouvantes et poétiques.