PREMIÈRES DÉAMBULATIONS
Au Nord de Lille, le long de la Deûle, à quelques minutes à pied de la citadelle de Vauban et de la frontière Belge se trouve un ancien quartier industriel. Je l’ai découvert un jour de juillet 2012 en me promenant au bord de la Deûle. Après avoir quitté le centre historique Lillois, je suis arrivée dans une petite ville. Je me souviens d’un bruit strident. Je me suis alors dirigée vers cette source rythmée des machines, des sons métalliques ne s’arrêtaient pas. En arrière plan, un bâtiment saisissant a surgi de son socle. Assise sur la rive opposée, je regardais comme envoûtée ces silos d’usines qui semblaient sortir d’un récit terrifiant. J’ai longuement observé ces façades en brique d’un rouge intense. Devant moi, des mouettes, des péniches, une ambiance de port s’installait. En levant les yeux je vis un haut clocher qui dominait le paysage. De la toiture seules les poutres et les structures subsistaient.
Ce sont les Grands Moulins de Paris, lieu abandonné et oublié des paysages de la Deûle. Un tableau atypique de château m’est alors apparu en image : des tas argentés gisaient devant un palais en ruine, au premier plan, des quais flottant grinçaient avec le mouvement des vagues. Des corbeaux sur les toits, une atmosphère qui me faisait frissonner. Au pied des façades du château, une végétation luxuriante esquissait un jardin sauvage.
Je me trouvais devant un décor de théâtre entre rêve et réalité : ce « château ambulant » se dressait devant moi comme un appel, un signe.
PRÉSENTATION
Aux portes de la Madeleine et de Saint-André, la ville de Marquette-lez-Lille s’est implantée à la confluence du canal de Roubaix et de la Deûle qui a permis d’alimenter des moulins à eau du Moyen-Âge au XX s siècle. La rive opposée de Marquette-lez-Lille a vu s’installer une plate-forme d’industries. Sur une parcelle de 3 ha se trouvent les Grands Moulins de Paris, haut symbole de l’industrie meunière qui fabriquait et stockait la farine. Elle a été la minoterie la plus moderne de son époque. Construite en 1921 par l’architecte Vuagnaux, elle a cessé son activité en 1989. À une centaine de mètres sur la parcelle voisine se trouvait auparavant l’usine chimique Rhodia-Poulenc. Démantelée en 2004, son sol a livré un trésor archéologique : les traces de l’abbaye cistercienne de la comtesse Jeanne de Flandres...
Érigée en 1228, cette abbaye abritait la plus grande communauté de femmes en Europe. Construite à l’apogée de l’art gothique puis incendiée par les troupes autrichiennes en 1793, l’abbaye fut délogée par les industries... En 2005, l’abbatiale et le choeur, le transept, la nef et l’aile des moniales ont été mis au jour par les archéologues. Des fouilles sont prévues pour les prochains mois et les archéologues vont maintenant explorer une nouvelle zone. Ils ont l’ambition de dégager des mottes de terres proches de l’abbatiale dans lesquelles doit se trouver le tombeau de Thomas de Savoie, mari de Jeanne de Flandres.
Seuls deux hectares sont réservés aux sondages dont le sol n’est pas pollué. Ce périmètre est d’ailleurs réservé sur le PLU de la commune et une campagne de fouilles recommence cette année 2013.
Ces deux sites sont extrêmement pollués : Les Grands Moulins de Paris le sont au PCB (Polychlorobiphénytes ou Pyralène) : en 1993, un vol de transformateurs a laissé échapper 900 Kg de PCB dans le sol et les nappes alors qu’on en comptait déjà 7300 kg. L’ex site Rhodia a ses nappes et sols noyés de produits chimiques, Il s’agit de sites très pollués de la région Lilloise. Cette problématique est évidemment cruciale en vue d’une dépollution, comment passer d’un site pollué à un site accessible au public ? Ce sera un des objectifs de mon travail.
Ainsi, un monument industriel et une des plus puissantes abbayes cisterciennes se sont installés proches l’un de l’autre. En analysant strate par strate, tel un mille feuilles, on comprendra les raisons de leurs implantations dans ce territoire depuis plus de huit siècles. Ces deux sites marqueurs de l’histoire sont des éléments forts du patrimoine religieux et industriel. Les Grands Moulins de Paris ont d’ailleurs été ajoutés en 2001 à l’inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, qui va me permettre de réfléchir à la question du patrimoine dans un site en pleine mutation urbaine. Le site archéologique et les bâtiments des Grands Moulins sont protégés et peuvent devenir un espace privilégié pour la culture et l’économie du territoire.
L’une sous terre, l’autre hors de terre : façade de la ville aérienne et souterraine.
INTENTIONS
Tout le territoire de Lille-Sud est en réflexion urbaine à travers des quartiers d’habitations tels que Bois Blancs, quartier Moulin et Fives. Les dé-cideurs politiques se tournent vers Lille-Nord et l’agrandissement de la métropole va bientôt accueillir cette emprise de 60 ha du site Rhodia et des GMP au sein de ses nouvelles limites. Sachant que ce projet sera en réflexion territoriale par la LMCU (Lille Métropole Communauté Urbaine) il me semble essentiel de l’inscrire dans la planification urbaine à l’échelle de la ville et de ses enjeux géographiques et politiques. Je devrai m’interroger sur la place de ce site dans le territoire qui a besoin d’un nouveau dynamisme post industriel. Comment les Grands Moulins de Paris peuvent-ils impulser la ville de Marquette-Lez-Lille et de Lille ? Pour ne pas être démantelées comme les usines voisines, comment la minoterie ainsi que le site de l’abbaye peuvent-ils acquérir une nouvelle image ? Dans quelles perspectives dois-je me situer pour repenser leurs nouvelles limites? Ainsi je m’interroge sur mon rôle à jouer et sur le regard à apporter en tant que future paysagiste.
Comment dois-je prendre en main un site marqué par l’histoire qui se retrouve aujourd’hui pollué et oublié ? En dirigeant mon étude sur le site de l’abbaye Jeanne de Flandres et les Grands Moulins de Paris, mon travail consistera à révéler les vestiges archéologiques et l’histoire meunière de ces lieux. Comment faire dialoguer ces sites et les lier afin de trouver un fil conducteur qui assure la continuité du paysage ? La valorisation du patrimoine historique est un sujet clef qui pourra me faire réfléchir à l’avenir de ces lieux et les connexions qu’ils peuvent avoir. Quels usages donner à ce site ? En saisissant l’opportunité de ce «paysage en pause», je pourrai ainsi établir un programme entre l’abbaye, la minoterie et Lille Métropole.
La problématique consiste à passer d’un site patrimonial oublié à un espace culturel accessible au public. Vers un projet de paysage, l’idée d’un parc des Grands Moulins de Paris et un dessein de jardin archéologique sont les premières intuitions qui me viennent à l’esprit...
Des amers aux portes de Lille sont en train de mourir, j’aimerais contribuer à leur redonner vie !