« De l’eau pour la vie, un canal de vie »
La route sinueuse glisse des rampes et file dans la vallée au-dessus de l'eau avant de remonter le versant opposé. En descendant le rempart, elle rencontre sur son chemin une autre voie de circulation, surélevée, elle semble elle aussi suivre sa propre route à fleurs de roche. Cette voie d’eau est le Canal des Aloès. Au détour d'un virage sur la route du Ouaki, on aperçoit un des tronçons encore debout. Construit en 1840, c’est un vestige de l'âge d'or de la canne à sucre à l'île de la Réunion. Il a servi pendant près d'un siècle à alimenter l'usine de La Chapelle Coco connue maintenant sous le nom de Moulin à maïs. Son prolongement rejoint même la sucrière du Gol.
Ici, il se distingue timidement de son environnement. Mais malgré la végétation qui tente de le camoufler, c'est sa matérialité unique, révélée par monochrome qui attire l'œil. L’ouvrage d’art qui longe la falaise comporte un canal fait d’un assemblage métallique riveté porté par de hauts piliers, aidé eux-mêmes de murs de soutènement et de contreforts faits de maçonnerie pierre. Cette apparence contraste avec la route d’un asphalte noire homogène qui semble dépourvu de détails, et même de traces de la main humaine. Un véritable produit de la mécanisation. C’est dire que la rencontre des deux voies nous raconte en un cliché l’évolution des techniques de construction, mais aussi de la société. Plus de coups de chabouk sur les chantiers ! He oui, construit à la force des bras des esclaves, c’est à l’initiative d’Augustin de Kerveguen, un grand propriétaire de l'industrie sucrière que né le projet. Le canal avait pour but d’irriguer les terres de son domaine familial. Pourtant, il a fait bien plus que ça. Pendant son fonctionnement, la vie s’est organisée autour du canal. Officiellement ou officieusement les planteurs, mais pas que, les villages et les habitants ont pu bénéficier “do lo kanal”. À l’époque où l’eau courante n’existait pas, c'était une aubaine. Et oui l’eau, c’est la vie !
Saint-Louis, situé dans le Sud-ouest, connaît de faibles précipitations contrairement à l'Est de l’île. La gestion et la maîtrise de l'eau ont donc été essentielles au développement économique de la ville notamment par de l'industrie sucrière alors émergente au début du XIXe siècle. Aujourd’hui en regardant vers le passé, on peut dire que cette construction est un travail d'ingénierie remarquable, mais aussi un travail d'aménagement paysager conséquent. En effet sur son itinéraire long de 17 km, le canal traverse le fond de vallée remonte sur le flanc de falaise et part ensuite irriguer les plaines agricoles. L'édification de ses nombreux ouvrages bassins, canaux, aqueducs ont grandement influencé le Saint-Louis actuel. Car elle a assuré l’économie, la pérennité des villages et de l’infrastructure routière qui se sont développés autour.
Aujourd’hui le Canal des Aloès, c’est un patrimoine qui nous est légué, que l’on doit protéger et faire vivre dans nos mémoires. Mais l’autre patrimoine que l’on oublie souvent, c’est l’eau ! L’eau distribuée par le canal. Cette eau qui a permis l'installation de la vie et plus tard l’essor de la ville. Et pourtant quand on regarde en contrebas, la rivière est presque à sec, comme le canal.