Fleurs de béton.
L’homme et la matière : ainsi pourrait se nommer cette photographie, qui met en scène la majestueuse confrontation de l’immense et du minuscule, au travers de ces mille vies humaines, concentrées dans les milliers de logements que comptent les fameuses tours de la cité Olympiades.
Olympiades : un nom qui fait rêver celui qui sait s’en saisir et l’arracher aux griffes des panneaux digitaux du métro. Olympiade : c’est le nom du projet fou de deux architectes, Michel Holley et Raymond Lopez, qui tentèrent de fondre l’antique Olympie aux modernes villes olympiques d’Helsinki, Tokyo, Sapporo ou encore Los Angeles. Voilà pour les noms de quelque unes des nombreuses tours. Le projet articule, selon une division stricte de l’espace, tours d’habitations privées et HLM, et compte aussi une crèche collective, un « Stadium » et une école maternelle. C’est le principe de l’urbanisme sur dalle – au cœur de l’architecture même de la photographie – dont un autre exemple magistral se trouve sur le Front de Seine dans le XVe arrondissement. Ce principe devait aboutir à la séparation en trois plans distincts des zones de circulation, des espaces de travail et des habitations ; sous la dalle, les parkings et les rues ; au « niveau O » de la dalle, jardins et boutiques ; le long des verticales finement modénaturées, les visages des gens.
Comment la vie naît-elle donc des fleurs mêmes du béton, de celles qui fleurissent à perte de vue sur les façades si délicatement travaillées des premières tours qui bordent la rue Nationale ? comment, de l’immensité de ces grands ensembles, si communément qualifiée de déshumanisante, surgit, intacte et illuminée, la puissance créatrice de la vie ?
C’est tout le propos de cette photographie, qui fixe le jeu d’une petite fille, et la figure esseulée de cet homme – sans doute son père – dont les pas circulaires sur l’esplanade, qui domine la « dalle », marquent le rythme de l’attente : est-elle inquiète ou joyeuse ? la photographie n’y répondra jamais. Il se tient, momentanément immobile, sur l’ourlet du cercle qu’on voit dessiné à ses pieds. Derrière, deux jeunes hommes tiennent une conversation à bâtons rompus, que rien ne semble devoir arrêter. Pour un instant, à la faveur du calme qui lentement monte, accompagné de cette fraîcheur vespérale de l’été qui s’enfuit, ils deviennent dans cet écrin les marionnettes d’un théâtre monumental, dont ils sont sans doute les personnages inconscients.
Ces vies minuscules auraient sans doute plu à « leur » architecte. Si cette photographie pouvait rendre un modeste hommage à leur maître d’œuvre, qui s’éteignit le 16 mars dernier. D’autant plus à l’heure où se pose la sempiternelle question de l’entretien de ces tours, lorsque certains se prennent à rêver de destruction, et que les vieux fantômes de Pompidou et de Giscard d’Estaing semblent renaître de leurs cendres.