Histoire générale de l'habitat ouvrier dans le Pays Segréen

"Les activités extractives qui se sont développées à partir des années 1875 et jusqu'à une période récente, ont marqué le paysager de caractères nouveaux qui sont aujourd'hui autant de points de repère familiers : verticales des chevalements, lignes sinueuses des buttes de déchets de taille. Et surtout, dans les villages, l'alignement au cordeau des maisons ouvrières ou l'étonnant damier que dessinent certaines cités élevées en pleine campagne bocagère. Le logement ouvrier apparaît bien ici comme l'une des spécificités de l'architecture locale tant par la diversité des types que par l'enjeu social auquel il a dû répondre.


À partir du milieu du XIXe siècle, scientifiques et industriels ont en effet mené un même combat contre l'insalubrité et les épreuves physiques et morales qui en résultaient : hygiène déplorable, risques d'épidémies, alcoolisme. Comprenant que l'amélioration de la vie de l'ouvrier pouvait aussi entraîner une amélioration de la production, les sociétés minières et ardoisières se sont donc engagées dans une politiques de stabilisation de la main-d’œuvre. [...]


Autour des années 1880, les premiers ensembles d'habitation apparaissent sous l'impulsion des sociétés ardoisières. [...] Qu'il s'agisse de maisons ou d'immeubles, le confort intérieur reste toutefois réduit : une à deux pièces de vie, les latrines à l'extérieur et, constante de cet habitat ouvrier, la présence systématique de jardin potagers à l'arrière des logements, avec leurs puits et leurs remises à outils.

Au cours du 1er quart du XXe siècle, l'activité industrielle s'intensifie dans les ardoisières comme dans les mines de fer où un premier contingent d'ouvriers étrangers arrive juste avant la guerre. Implantée depuis 1896 à Bel-Air de Combrée, la Commission des Ardoisières rachète les terrains libres le long de l'axe Segré-Pouancé pour créer les premiers îlots de ce qui deviendra une véritable agglomération ouvrière. [...]


Entre les deux guerres, pour répondre à un afflux plus important d'ouvriers, une seconde génération de maisons se déploie dans ce que l'on nomme désormais la Cité des Mines de Segré, mais aussi Bois II à Noyant, près des sites d'extraction de La Pouèze et de Chazé-Henry. Plus grandes (environ 65 m2), elles comptent notamment une laverie en rez-de-chaussée et deux chambres dans les combles. [...]


Microcosme social, la cité ouvrière, dans son aménagement, respectait aussi les hiérarchies : l'espace imparti aux maisons ouvrières ne chevauchait pas celui attribué aux habitations du personnel de maîtrise et d'encadrement et, a fortiori, à celui réservé aux maisons des directeurs placées en retrait ou parfois en dehors de la cité. Pourtant, la vie collective rythmée par le patronage et les associations laïques, les rencontres sportives ou syndicales, contribua dans le même temps à renforcer le lien social en participant notamment à l'intégration d'une importante population immigrée venue travailler sur les différents sites du Segréen : les Italiens à Brèges et les Polonais au Bois II mais aussi des Grecs, des Tchécoslovaques, des Espagnols et des Marocains.

Sans être propriétaires, les ouvriers disposaient néanmoins de leur habitation tout au long de leur vie. C'est pourquoi d'anciens mineurs vivent encore aujourd'hui avec leur famille dans ces petites maisons désormais égarées au milieu de la friche industrielle. Rénovées, rhabillées ou transformées, laissées à elle-mêmes presque à l'abandon, elles témoignent parfois avec dérision, mais non sans tendresse, de la nécessité de chacun d'affirmer sa personnalité afin de mieux se débarrasser du modèle standardisé."


Thierry Pelloquet, Service départemental de l'Inventaire, Département de Maine-et-Loire, dans la revue Reflets, Patrimoine de Maine-et-Loire, L'habitat ouvrier dans le Pays Segréen.

IDENTIFIER :
68139
Put online by :
Aglaé JELOCHA
Creation date :
24/02/2023
Update date :
22/03/2024