Les enfants de Spoutnik
Avec le lancement du premier satellite en 1957, l’URSS a ouvert la voie de l’espace. Cinquante ans plus tard, ces monstres de technologie sont omniprésents dans la vie quotidienne.
Par SYLVESTRE HUET
QUOTIDIEN : vendredi 5 octobre 2007
C’est le plus célèbre bip-bip du XX e  siècle. Ce 4 octobre 1957, il crachote dans des millions de postes de radio, émis par le premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik 1, «compagnon de route» en russe. La boule de métal hérissée d’antennes fait la une des quotidiens. Suscite des discours enflammés. Soulève l’enthousiasme des partisans des «lendemains qui chantent», et celui des scientifiques qui perçoivent la vaste étendue d’explorations et d’applications technologiques ainsi ouverte. Et provoque, après un moment de sidération, un formidable sursaut des Etats-Unis, qui culminera avec le premier pas d’un homme sur la Lune, celui de Neil Armstrong, le 20 juillet 1969.
Aux Etats-Unis et en Europe, militaires, gouvernements et quelques scientifiques ne sont pas surpris. Les militaires, tout d’abord, tant la mise en orbite du Spoutnik provient directement d’une technologie pour laquelle ils se mobilisent depuis 1945. Dans l’Allemagne dévastée, les services secrets russes et américains se sont livrés à une course-poursuite discrète pour récupérer les plans des V2 qui s’abattaient sur Londres et les ingénieurs allemands qui les ont construits. Chacun a eu sa part de butin, celle des Américains s’ornant de l’ingénieur en chef, Wernher von Braun.
Rêves.  De 1945 à 1957, Russes et Américains développent des missiles intercontinentaux, chargés de menacer l’adversaire de leurs ogives nucléaires. Pourtant, à la suite des rêves caressés dès les années 30 par quelques visionnaires russes, américains et français, la volonté de sortir du berceau gravitationnel terrestre est déjà là. Spoutnik inaugure l’ère spatiale.
Le demi-siècle qui vient de s’écouler a vu les technologies spatiales se déployer à grande échelle. Depuis Spoutnik, près de 6 000 satellites ont été lancés, dont 1 000 entre 1996 et 2006, lors de 4 500 tirs de fusées. Hier apanage exclusif des deux superpuissances - et objet d’une féroce compétition d’image, de savoir-faire et de puissance militaire -, ces technologies se répandent partout. L’Europe, le Japon, la Chine, l’Inde et Israël disposent de leurs astroports et fusées. Le Brésil, malgré ses déboires techniques, en est tout proche. La Corée du Sud s’y met aussi, achetant des technologies à la Russie. Quant au reste du monde, il utilise les satellites s’il ne sait les lancer.
Investissements.  En un demi-siècle d’astronautique, un millier de milliards d’euros a été investi pour explorer et exploiter ce nouveau monde. Des crédits publics pour l’essentiel. Si les satellites de télécommunication sont assez rentables pour payer leur lancement, la plupart des satellites, civils et militaires, et leurs lanceurs dépendent de financements étatiques. Surtout, l’usage des technologies spatiales s’est fait ubiquiste. Aucun champ des activités humaines n’y échappe : militaire, scientifique, économique, culturel… Peu d’endroits sur Terre qui ne soient accessibles à l’œil du satellite espion, à l’antenne du Satcom, à la surveillance du radar. Puissant outil de domination stratégique pour le Pentagone et la Maison Blanche. Enjeu géopolitique majeur, comme le montre l’accès aux informations satellitaires ou les déboires du système de navigation européen Galileo, concurrent du GPS américain, que l’Union européenne ne parvient toujours pas à financer.
Mais les technologies spatiales sont aussi un banal moyen de travail pour le météorologiste, l’ingénieur des télécoms, le géographe ou l’agriculteur beauceron qui guide son tracteur au GPS, décide d’un dosage d’engrais à partir d’une image satellite, s’enquiert des cours mondiaux du blé sur Internet. Si l’homme est allé sur la Lune et ses robots sur Mars, si l’exploration de l’Univers a formidablement bénéficié des technologies spatiales, elles sont pour l’essentiel tournées vers la planète Terre.


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